Interview de Kuyena Citaf : Honorable, peut-on savoir comment vous êtes arrivé à l’ABAKO ? Kuyena : Il faut savoir qu’à ce moment là, tout le Bas-Congo voulaient entrer dans l’ABAKO. Moi, j’étais d’abord au service de l’ex-Population noire. Par la suite, j’ai travaillé à la Chanic, après quoi, j’ai été engagé à la province et la province m’a envoyé au district, le district m’a envoyé à l’ex-Population. Citaf : Comment êtes-vous arrivé là-bas ? Avez vous été recruté ou bien vous êtes arrivé de vous-même ayant appris que l’ABAKO existait. Kuyena : L’ABAKO existait. J’étais à Kintambo où j’ai été élu président de la section Kintambo. Depuis lors, l’ABAKO a eu de plus en plus besoin de moi. Citaf : Le rôle qu’on vous a confié dans l’ABAKO à l’époque répondait-il bien à votre profil ou par le fait de l’emballement vous vous êtes retrouvé là-bas ? Kuyena : Le rôle que l’ABAKO m’avait imposé au moment de l’indépendance immédiate et inconditionnelle allait bien avec mon tempérament. Et nous nous sommes embarqués pour cette indépendance immédiate et inconditionnelle. Citaf : Quand avez-vous fait connaissance de Kasa-Vubu ? Kuyena : J’ai connu Kasa-Vubu avant qu’il ne devienne Président. C’est à l’époque où il a été élu président de l’ABAKO le 21 mars 1954. Citaf : S’agissant de cette élection, était-il candidat unique ou avait-il des concurrents ? Kuyena : Il avait des concurrents mais il était célèbre. Citaf : Est-ce Kasa-Vubu en arrivant à l’ABAKO qui a apporté la coloration politique ? Ou celle-ci existait déjà avant que lui n’arrive à la tête de l’ABAKO. Kuyena : Quand Nzeza Landu était là, il y avait aussi cette effervescence mais quand Kasa-Vubu est arrivé c’était vraiment de la politique. Citaf : Alors quel type d’homme était Kasa-Vubu ? Kuyena : Kasa-Vubu c’est un homme rayonnant, charismatique, différent. C’est bien lui qui a changé l’ABAKO. Citaf : Qu’est-ce que vous retenez de lui dans ce changement ? Kuyena : Vous avez lu le livre de l’ABAKO ? Le voici, avec la date à laquelle il a été élu, même le changement qu’il a apporté. Citaf : Kasa-Vubu président de l’ABAKO et Kasa-Vubu Président de la République. Est-ce que c’était le même homme ou le fait de la prise des pouvoir l’a un peu changé ? Kuyena : C’est le même homme. Kasa-Vubu est devenu Président. Il a cédé la place de l’ABAKO aux autres. Mais il était quand même président de l’ABAKO. Mais ce sont les autres qui travaillaient. Vous savez : quand il est devenu président de l’ABAKO c’est Muanda qui avait pris sa place. Citaf : Que vous rappelle exactement la date du 4 janvier ? Kuyena : Nous avons demandé que la réunion du 4 janvier soit à Matonge, à l’YMCA. Mais le 1er bourgmestre de Léopoldville nous a répondu en retard, précisant qu’il a refusé de donner à l’ABAKO l’autorisation pour la réunion du parti. La nouvelle est arrivée tardivement chez nous. Nous étions obligés de partir dimanche pour disperser les gens. Kasa-Vubu est aussi arrivé pour disperser les gens. Malgré tous ces efforts, nous avons dû affronter des émeutes. C’était des émeutes préparées par des blancs. A ce moment là, il n’ y avait pas de télévision et on ne savait pas parler à la radio. Citaf : Il semble que Lumumba était intéressé à cette fête du 4 janvier et que c’est lui qui aurait prononcé pour la première fois le mot indépendance. Kuyena : Ce n’est pas Lumumba qui a prononcé pour la première fois le mot indépendance. J’aimerais que vous associez l’ABAKO et vous trouverez que c’est Kasa-Vubu qui a le premier prononcé le mot indépendance. Citaf : Quel rôle l’ABAKO a joué dans la formation du premier Gouvernement ? Kuyena : Kasa-Vubu était aussi donné comme formateur du gouvernement mais il n’a pas voulu et il a laissé tomber. C’est ainsi que Lumumba lui a succédé avec plus de bonheur et Kasa-Vubu a été choisi comme Président. Citaf : Quelques jours après l’indépendance, l’ABAKO a éclaté. Il y a eu le courant Muinda, un courant conservateur… Kuyena : L’ABAKO n’a pas éclaté. La réalité est qu’il y a eu plusieurs courants. Citaf : Quelle était la cause principale de ce remue-ménage ? Kuyena : Des mauvais travaillaient pour cela en vue de diviser l’ABAKO. Citaf : Comment était l’attitude de Kasa-Vubu ? Kuyena : Kasa-Vubu était toujours calme, il avait confiance en son personnel de l’ABAKO. Citaf : Lors de la table ronde de Bruxelles, on a beaucoup parlé de la « figue » du Président Kasa-Vubu. Quand il est sorti de la table ronde et a disparu de la circulation, beaucoup de choses ont été dites sur Daniel Kanza, ses relations avec Kasa-Vubu. Qu’en dites-vous ? Y avait-il des gens qui les poussaient à la division ? Kuyena : Non, cela dépendait d’eux-mêmes. Quand ils sont partis, nous leur avons dit de rester ensemble. Mais quand ils sont arrivés, il y a eu des histoires. Nous y sommes rendus moi, avec Vital Muanda pour aller finir cette affaire en Europe. Mais quand nous sommes arrivés là-bas, c’était formidable. Kasa-Vubu était sorti de la table ronde. Nous sommes allés remettre Kasa-Vubu à la table ronde. Citaf : quel était l’argument pour le convaincre de rentrer à la table ronde ? Kuyena : Mais c’est le peuple, il doit se soumettre au peuple. Il était obligé de se soumettre à ce que le peuple avait dit. Citaf : La sortie de Kasa-Vubu de la table ronde n’a-t-elle pas desservie les intérêts de l’ABAKO, peut être même du pays. Parce que la politique de chaise vide ne paie pas. Kuyena : Non, Kasa-Vubu est rentré à la table ronde. Si Kasa-Vubu était sorti définitivement, ça allait être de la mer à boire pour nous. Peut être nous n’aurions pas l’indépendance aussi. Citaf : 35 ans après sa mort, quel est le témoignage que vous pouvez apporter devant l’histoire sur la personnalité de Kasa-Vubu ? Kuyena : Kasa-Vubu c’est un Président. C’est le seul Président qui a été élu dans notre pays. Seulement je regrette beaucoup que les hommes politiques se sont amusés à le banaliser, l’oublier en l’accusant de tout et de rien. Kasa-Vubu est mort oublié et abandonné de tous. Citaf : On dit beaucoup, sur le plan moral, de son respect de la chose publique. Que pensez-vous ? Kuyena : Presque tout le monde parle de ça. Quand il allait en mission, l’argent qu’on lui donnait pour la mission, il s’obligeait de remettre le reliquat à la banque. C’est l’argent du peuple, ce n’est pas son argent. Citaf : Kasa-Vubu était accusé par ses adversaires de tribaliste. Kuyena : Il y avait des gens, notamment ceux de Muinda, qui se séparaient de nous. Citaf : Aviez-vous l’intention de faire de Kasa-Vubu roi comme certains le disaient ? Kuyena : Non, il n’y a pas de roi. C’est le peuple qui voulait qu’il devienne roi, comme Baudouin en Belgique. Citaf : Quelle était la vision de Kasa-Vubu pour notre pays et pour l’Afrique ? Kuyena : Kasa-Vubu voulait que le pays soit propre, pas autre chose que ça. Il voulait travailler pour le pays. Citaf : Un dernier mot pour conclure. Kuyena : J’ai travaillé avec Kasa-Vubu et j’ai trouvé que si le pays était entre ses mains quand Mobutu a pris le pouvoir, ça serait une bonne affaire. Propos recueillis par Albert Ntula |
vendredi 12 juin 2009
Cité Africaine : Interview de Kuyena au sujet de l'Abako
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