II. La religion
Une communauté de vue en matière de religion entre deux peuples éloignés dans le temps et dans l'espace relève forcément d'un contact intime. La religion étant le lieu par excellence de l'expression libre de l'imaginaire d'un peuple, il y a donc peu de chances que deux communautés éloignées conçoivent l'idée de Dieu de la même manière par hasard.
En cette matière Kemet et Kongo se rejoignent.
Les Anciens Egyptiens et les Bakongo sont monothéistes. Dieu porte le même nom chez les deux peuples. Imn (Amon) - Râ donne par inversion Nzambi : nza (râ) et mbi (Imn avec chute de m), le mb est le m égyptien renforcé ; notons que nza désigne en Kikongo le disque solaire rouge(14(*)).
La mort et la vie occupent une place importante d'où la pompe entourant les funérailles aussi bien au Kemet qu'au Kongo.
« Le but des textes des pyramides était de permettre au [défunt] d'atteindre le royaume des morts [ciel, est] et d'y trouver la félicité [...] Il était nécessaire de traverser certains cours d'eau ; à cet effet des enchantements étaient mis à la disposition du mort pour qu'il pût forcer le passeur, appelé « Regarde-en-arrière », de lui faire traverser l'eau.
Parfois si le nautonier s'obstinait, il fallait implorer le dieu Rê de lui commander d'obéir. `'O Rê, recommande le [défunt] à Regarde-en-arrière, passeur du Lac-des- Lys, pour qu'il amène pour le [défunt] sa barque dans laquelle il fait passer les dieux de l'autre côté du Lac-des-Lys, vers le côté est du ciel'' ».(15(*))
« Un autre habitat des morts que mentionne la tradition kongo, celui de Mpemba, le séjour des morts vers la mer. [...] Les morts, pour arriver au Mpemba, doivent suivre l'itinéraire du soleil. Car, la conception des anciens Bakongo était que le mouvement circulaire du soleil part du fond de l'océan, en passant par dessus nos têtes. Le monde en effet paraissait à nos aïeux comme une montagne entourée d'eau. L'homme est placé sur cette montagne. De là, il peut voir le soleil des eaux se lever, y retourner et s'y plonger , au séjour des morts, pour les éclairer après avoir éclairé les vivants. Pour arriver au royaume des morts (Ku Mpemba), le soleil passe par l'océan (mbu, kalunga) et s'y enfonce pour y manger les crabes. Alors le soleil lui-même devient crabe, c'est-à-dire qu'il devient la pirogue qui transporte les âmes au Mpemba[...] Les bons[...] s'en vont rejoindre les ancêtres dans leur séjour au Masa ; le méchant se perd sur son chemin. A l'eau nous irons, nous devrons pour y parvenir avoir le coeur pur. Les aïeux qui nous ont précédés au Masa demeurent dans un lieu de bonheur et de paix. »(16(*))
Cette description dont l'arrière-plan égyptien est patent actualise le texte du Livre des Morts cité par Braden. Des éléments singuliers importants se retrouvent dans les deux textes : l'eau, la barque là bas, la pirogue ici, les difficultés sur le chemin, une constante référence au soleil. Que ce dernier se transforme en crabe pour transporter les âmes dans l'eau (océan) rappelle forcément la cosmogonie héliopolitaine de la création. Celle-ci affirme qu'au départ existaient les eaux primordiales appelées Noun, « from which floats the bark of `millions of years' ». (17(*)) Kheper - en Egyptien devenir, exister - appelle en même temps Râ - l'ordre - et le serpent Apophis - le désordre - à l'existence.(18(*)) Chaque nuit, le serpent menace d'avaler le soleil lorsqu'il retourne dans le Noun. Chaque matin, le soleil émerge du Noun victorieux.
Un commentaire en plus ici enfoncerait une porte largement ouverte.
Chez les Bakongo, le sort réservé à l'âme qui n'atteint pas le paradis est de devenir Tebo. Van Wing en donne la description : « ...si par contre la mort est mauvaise, s'il a été un kimpumbulu : un mécréant, qui viole toutes les lois des ancêtres ou du pays, il deviendra tebo, un être infect nauséabond aux cheveux roux, errant sur terre sans trêve ni repos en commerce avec les ndoki, les sorciers qui sucent le sang des hommes ».(19(*)) Cent cinquante-trois pages plus loin, Van Wing est plus précis : le Tebo est petit, laid, a la peau cendrée, une longue chevelure rousse, une odeur nauséabonde et mange la chair humaine.(20(*)) Or, dans le panthéon égyptien existe Seth que les Grecs ont appelé Typhon. Diop le décrit : « Seth, Typhon, le principe du Mal et du désordre, le symbole de la trahison est né sous les traits d'un Blanc aux cheveux roux ; jusqu'à la fin de leur histoire, les Egyptiens massacraient spontanément ce type de Blanc aussitôt qu'ils le rencontraient comme étant un être impur »(21(*)), Marguerite Divin aussi : « C'était le troisième fils de Nouît, blanc de peau et roux de chevelure »(22(*)). Que dire de plus sinon s'incliner devant le poids des faits. Les précisions de Van Wing longue chevelure rousse, errant - permettraient de calquer Tebo sur Seth et par ricochet d'expliquer pourquoi les grecs l'ont appelé Typhon comme le vent errant...
* 14 Lusala lu ne Nkuka., « Qu'est-ce que l'Afrocentricité », inédit.
* 15 Charles S. BRADEN, Les Livres sacrés de l'humanité, Paris, Payot,1955.
* 16 Mgr Joseph NTEDIKA, Eschatologie Kongo: Ku Masa. Etude anthropologique et cosmologique, in Philosophie et Vie. Actes des Premières journées philosophiques de Boma du 26 au 29 mai 1993, Boma, Grand Séminaire « Abbé Ngidi » de Boma
Pour les Bakongo , le « monde paraissait comme une montagne entourée d'eau » (Mgr Joseph Ntedika, a.c.). Pour les Egyptiens, « ... the world existed inside a kind of ''bubble'' surrounded by an infinite ocean. » (James P. ALLEN, Middle Egyptian: An Introduction to the language and culture of Hieroglyphs, Cambridge, Cambridge University Press, 2001, p.21.)
* 17Wallis BUDGE, The Egyptian Book of Dead. The Papyrus of Ani.. Egyptian Text, transliteration and translation, New York, Dover Pulications, Inc, 1967.
* 18 Le hiéroglyphe de Kheper est un crabe. Sous la forme Khepri il désigne le soleil du matin. En Kikongo Kipadi (k-p-r/k-p-d) veut dire matin, matinée, demain, à demain, point du jour, au matin. Voir Lusala lu ne Nkuka sj, « La conception de la paix dans l'Ancienne Egypte », Communication présentée à la semaine interdisciplinaire La paix est elle une illusion ou une réalité ? » organisée par la Faculté de Théologie Protestante de Brazzaville du 17 au 21 février 2003.
* 19 Jan VAN WING, op. cit., p.138.
* 20 Jan VAN WING, op. cit., p. 291.
* 21 Cheikh Anta DIOP, Antériorité des Civilisations nègres : Mythe ou Vérité historique ?, Paris, Présence Africaine, 1993, 2e édition, p.34.
* 22 Marguerite DIVIN, Contes et légendes de l'Egypte anciennne, Paris, Fernand Nathan, 1969, p.32.
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