RDC: RETOUR VERS LE FUTUR (1): KISSINGER - UMBA-di-LUTETE1) NOTRE HOMME EN ANGOLA : HOLDEN ROBERTOENTREVUE HENRY KISSINGER – [JEAN-THÉODORE] UMBA-DI-LUTETE (12 AOÛT 1974)
(Traduction: ALEX ENGWETE)
Département d’Etat Mémorandum de conversation Date: 13 août 1974
[Date de la remise en circulation publique : 4 mai 2006]Sujet : Relations Etats-Unis – Zaïre
PARTICIPANTS : ZAIRE Umba-di-Lutete, Commissaire d’Etat aux Affaires Etrangères et à la Coopération Internationale
Matungulu N’Kuman, Conseiller, Bureau du Président
Basele Ikondi ya Bankoko Lopori, Conseiller, Ministère des Affaires Etrangères
Mbeka Makosso, Ambassadeur de la République du Zaïre [à Washington]ETATS-UNIS
Le Secrétaire [d’Etat Henry Kissinger]M. Edward Mulcahy, Assistant Secrétaire d’Etat Intérimaire, AF [Affaires Africaines]
M. Wilter Cutler, Directeur, AF/C [Afrique Centrale] (rapporteur)
Mlle Helen Kaps (interprète)
Lieu : Département d’EtatHeure : 18 h 10 ; 12 août 1974
Distribution : S ; D ; S/S ; Wh (Général Scowcroft)
Le Secrétaire [d’Etat]: C’est avec grand plaisir que nous vous accueillons ici. Comment va votre Président ? Je m’excuse d’avoir reporté notre rencontre. Comme vous le savez, on a des problèmes intérieurs à régler et ceux-ci ont pris le plus clair de mon temps. On me dit que vous avez eu un problème à l’aéroport l’autre jour. Je voudrais m’excuser ici de l’excès de zèle de la part de notre police. Il n’y a plus rien à faire pour rectifier ça maintenant, mais je suis très désolé. Nous faisons de notre mieux pour nous assurer que ce genre de discourtoisie ne se reproduise plus.
Umba : Merci de me recevoir. Je comprends la situation inhabituelle dans votre pays et j’apprécie que vous ayez trouvé le temps de me rencontrer. L’incident que vous mentionnez fait maintenant partie du passé. Les relations entre nos deux pays sont si amicales et importantes qu’un tel incident ne peut en aucune façon leur nuire.
Le Secrétaire (souriant) : Je sui s certain qu’une telle chose ne m’arrivera pas quand je visiterai votre pays.
Umba : Oh, non. Nous ne laisserons jamais une chose pareille se produire.
Umba : Je voudrais profiter de cette occasion pour vous féliciter pour votre nomination. Je voudrais aussi exprimer mon appréciation pour les propos que vous avez tenus le samedi devant les ambassadeurs africains. Je suis content de votre assurance de la continuité de la politique américaine sous le nouveau Président. Je voudrais soulever deux questions. La première concerne nos relations bilatérales. Nous avons remarqué que vous avez rencontré les Belges au cours d’une récente visite en Europe. Le Président Mobutu est très préoccupé par les efforts de la Belgique de discréditer le Zaïre aux yeux des investisseurs étrangers. Les Belges ont mené cette campagne auprès d’un certain nombre de pays, y compris l’Allemagne, le Japon et la France. Ils ont essayé de créer l’impression que mon gouvernement est en train de s’attaquer à tous les investissements étrangers au Zaïre. Mais leur campagne a échoué. Le Zaïre n’a touché à aucun des avoirs ou aucune des propriétés belges bâtis avec les fonds propres de leur pays. Et nous ne nous saisirons d’aucun capital ni d’aucune propriété appartenant aux étrangers. Nous apprécions=2 0l’importance des investissements étrangers au Zaïre : de l’ordre de 1 milliards de dollars et demi, dont la grande partie provient des Etats-Unis. Reynolds à elle seule a près de 600 millions de dollars investis dans notre pays. Le Président Mobutu apprécie la confiance que les Etats-Unis continuent à placer au Zaïre. Malgré la campagne de la Belgique, les relations entre nos deux pays restent très bonnes.Le Secrétaire : Nos relations avec le Zaïre sont d’une très grande importance pour les Etats-Unis. Nous considérons le Zaïre comme l’un des pays-clés dans le monde et une cheville ouvrière dans notre politique envers l’Afrique.Umba : Je voudrais maintenant aborder la deuxième question : les territoires portugais de l’Afrique et l’Angola en particulier. Si nous parlons surtout de l’Angola, c’est parce qu’il est très important pour nous. Le Zaïre partage une frontière commune avec l’Angola longue de 2000 kilomètres.
Le Secrétaire : Je ne savais pas que la frontière était aussi longue.
Umba : De plus, il y a maintenant près de deux millions de réfugiés angolais au Zaïre.Le Secrétaire (à M. Mulcahy) : Deux millions ? Quelle est la population de l’Angola ?0AM. Mulcahy : Près de six millions.Umba : Je voudrais franchement vous parler de l’indépendance de l’Angola. Les pays socialistes—particulièrement l’Union Soviétique—ont montré un grand intérêt pour l’Angola. Ils ont mis en œuvre une forte propagande pour supporter Agostinho Neto qui, jusqu’ici, a été le leader du MPLA, le désignant comme le vrai leader de la libération angolaise. Le Zaïre, pour sa part, a supporté Holden Roberto, leader du MLA. Il est un véritable patriote anti-communiste. Neto est un propagandiste, un bavard inactif.
Le Secrétaire : Que peuvent faire les Etats-Unis ?Umba : Nous sommes préoccupés par les activités des Etats socialistes qui sont en train de faire pression sur les Portugais pour traiter avec Neto. Peut-être que les Etats-Unis pourraient nous assister dans nos efforts à contrecarrer cette pression.
Le Secrétaire : Mais si vous supportez Holden, personne ne va marcher sur les pieds du Zaïre pour cela.
Le Secrétaire : Que devront faire les Etats-Unis ?
Umba : Nous pensons que vous devriez appuyer Holden Roberto. Puisque les socialistes sont derrière Neto, et puisque Holden est réputé favorable aux intérêts des Etats-Unis , nous pensons qu’il mérite l’appui des Etats-Unis.
Le Secrétaire : De quelle façon ? D’un point de vue pratique, comment pourrons-nous supporter Holden ?Umba : Les communistes sont en train de se précipiter pour faire accréditer leurs ambassadeurs à Lisbonne et de battre campagne pour Neto. Les Etats-Unis pourraient aider en faisant pression en faveur de Holden.
Le Secrétaire : Mes collègues pensent que la politique étrangère doit être menée de manière raisonnable. Mais je conviens avec vous, parfois si vous voulez avoir quelque chose, il vous faut faire pression. Pour ce qui est de votre demande de nous voir appuyer Holden Roberto, franchement je n’ai pas encore eu l’opportunité d’étudier la question. Nous pensons du bien de Holden, mais je n’ai pas encore assez étudié cette affaire pour savoir ce qui pourrait être fait. Je comprends votre position : le Zaïre a un intérêt futur sur l’Angola, et vous souhaitez que nous vous aidions à appuyer Holden.Umba : Une façon de faire serait d'intensifier vos contacts avec Holden.Le Secrétaire : Où ça ?Umba : Ce serait bien sûr à vous de décider. Ici aux Etats-Unis ou peut-être dans un autre pays. Vous=2 0êtes bien placé pour en décider.Le Secrétaire : Je n’exclus pas cette possibilité. Nous allons l’étudier. Ce serait une bonne idée comme la situation continue d’évoluer en Angola. Lorsque nous le ferons, nous vous ferons savoir quand nous allons le faire. Umba : J’ai une autre suggestion à formuler. Nous avons beaucoup aidé Holden. Bien que nous ayons une force de frappe militaire, y compris des Mirages, nos moyens d’aider Holden sont plus limités que ceux des pays socialistes qui appuient Neto. Nous pensons qu’il devrait y avoir un moyen pour les Etats-Unis d’aider Holden à renforcer sa position en tant qu’interlocuteur vis-à-vis des Portugais. Il est évidemment l’interlocuteur le mieux qualifié.Le Secrétaire : Nous allons voir tout ça de plus près. Je vous prie d’assurer le Président Mobutu que toutes les suggestions qu’il a formulées seront étudiées avec soin. Considérez-vous Holden comme le seul candidat pro-occidental viable en Angola ? Y en a-t-il d’autres ?
Umba : Non, pas pour le moment. Peut-être qu’il y en d’autres qui ne sont pas en évidence maintenant ; mais Holden est le seul que nous avons pu identifier. Le MPLA est, heureusement, derrière lui. Holden et nous, on partage les mêmes po sitions politiques.
Le Secrétaire : Nous devons considérer tout ça très soigneusement, maintenant que le gouvernement portugais s’est prononcé en faveur du principe de l’indépendance pour ses territoires africains. Nous allons étudier cette affaire soigneusement. Nous prenons toujours les vues du Président Mobutu très sérieusement. S’il est préoccupé par l’Angola, sa préoccupation mérite alors toute notre attention. Quand nous allons prendre une décision, nous vous le dirons. Je suis très ouvert aux principes de base que vous avez exprimés. On apprécierait que vous nous fassiez savoir ce que vous pensez que nous pouvons faire. Nous aurons bientôt un nouvel ambassadeur—Deane Hinton—à Kinshasa quand vous rentrez. Je le connais bien ; vous pouvez lui faire confiance.
Umba : Nous allons nous assurer de le voir vite présenter ses lettres de créance.Umba : Je voudrais ajouter un autre point : les événements peuvent se précipiter, et la situation en Angola pourrait bien vite changer. Il est important que nous ne soyons pas dépassés par les événements.
Le Secrétaire : Vous avez bien fait de venir ici. Vous avez réussi à attirer mon attention sur l’Angola, au plus grand dam de mes collègues, j’en suis sûr. Je vais m’en o ccuper.
Umba : Nous espérons que les Etats-Unis peuvent aider dans le processus des négociations des territoires portugais, et en Angola en particulier, en intervenant auprès des autorités portugaises à des moments opportuns.
Le Secrétaire : On le fera aux moments appropriés. Nous parlerons aux Portugais.Umba : Puis-je me permettre de vous poser une question personnelle : comment faites-vous pour maîtriser en même temps des problèmes aussi variés ?
Le Secrétaire : Pourtant, je n’ai pas encore maîtrisé celui-ci. C’est pourquoi j’apprécie beaucoup votre jugement. J’ai beaucoup de respect pour votre Président et pour ses vues sur les problèmes africains. Je vous prie de bien vouloir lui faire mes hommages. Les intérêts de nos deux pays sont similaires à plusieurs égards en Angola. Nous comprenons votre volonté d’avoir un gouvernement ami à vos frontières.
Umba : Il y a eu des rumeurs selon lesquelles le Zaïre voulait s’implanter en Angola et au Cabinda. Ces rumeurs sont des plaisanteries, elles sont fausses. Nous sommes engagés au principe d’un Angola libre. Nous avons beaucoup de ressources naturelles dans notre propre pays. On n’a aucune raison d’avoir des desseins territoriaux en Angola.
Le Secrétaire : J’interprète vos vues comme voulant signifier qu’en tant que voisin de l’Angola, vous voulez voir s’établir en Angola un gouvernement qui au minimum ne vous soit pas hostile ; que les facteurs économiques ne vous concernent pas ; que ce sont plutôt les facteurs humains qui comptent.
Umba : Avant de vous quitter, Je voudrais vous exprimer mon appréciation pour l’appui que vous et le Département d’Etat avez donné à notre Ambassadeur ici à Washington. Je suis très honoré d’avoir été reçu par vous.
Le Secrétaire : Je peux vous assurer que le Président Mobutu est toujours le bienvenu aux Etats-Unis, et que le Président Ford attache une très grande importance aux relations entre nos deux pays.
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Commentaires
La documentation...C'est incroyable ce que ces puissances occidentales gardent par ecrit. C'est une de leurs forces, mais a ussi - si je dois penser comme Machiavel - une de leurs faiblesses. Du tempsde Mobutu, une telle réunion ne serait surement pas documentée par écrit, sauf besoin pressant... une des raisons pour lesquelles il est resté au pouvoor si longtemps.
Il faut absolument que l'on fasse pression pour le passage d'un "Freedom of Information Act" au Congo, dans les plus brefs delais, avant que les gens ne s'embourbent trop dans les plaisirs du pouvoir.
Quant au contenu de ce memo, c'est des choses que je connaissais deja, un de mes membres de famille proche ayant été l'un des commandants des troupes d'apui envoyée par Mobutu en Angola dans les années 70. C'est simplement tres interessant que vous ayez pu trouver ce document. J'espere qu'il y en aura d'autres. The translation is also impressive by the way.
SOURCES : ALEX ENGWETE / AFRIKblog.
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