lundi 2 mars 2009

Lecture...Panda Farnana (1888-1930) revisité…

Panda Farnana (1888-1930) revisité…
tiré du Le Potentiel

Dans son livre consacré à Panda Farnana, Didier Mumengi esquisse les perspectives de la rénovation de l’esprit congolais. Il tente de restituer à notre mémoire le combat d’un homme : Mfumu Paul Panda Farnana, premier universitaire du pays et intellectuel engagé dans la cause des Noirs, aux côtés de figures aussi emblématiques que Blaise Diagne, Du Bois, Simon Kimbangu, Marcus Garvey. L’histoire intellectuelle et politique a pourtant négligé ce personnage brillant alors qu’avec Stephano Kaoze -premier prêtre congolais de l’Eglise catholique romaine ordonné en 1917-, Panda Farnana marqua le point de départ de la littérature congolaise au sens large et sens (sartrien) de la réfléxion engagée.

Comme le lecteur le découvre, c’est Paul Panda Farnana, et non Thomas Kanza, qui est le premier congolais à avoir fait des études supérieures en Europe. De plus, à tout seigneur tout honneur, dit-on ! C’est le professeur Kalubi M’Kola de l’Université pédagogique nationale (Upn) de Kinshasa/Binza qui le premier a exhumé Paul Panda Farnana de l’oubli. Malheureusement, son petit opuscule qu’il lui a consacré, ainsi qu’à Simon Kimbangu en 1982, n’a connu une large diffusion qu’il méritait (cf. Kalubi M’Kola, De Paul Panda Farnana à Simon Kimbangu 1919-1945, source oubliée du nationalisme zairois, Kinshasa, Betras, 1982, 84p. (coll. Sens de l’événement).
La recension critique qui suit et qui est due à la plume de Pierre Halen -professeur d’université à Metz en France et critique littéraire belge très connu dans les milieux universitaires africains francophones, est trié de Etudes littéraires africaines (Paris, n°22, 2006), revue de l’Association pour l’Etude des littératures africaines (Apela).

Sur Paul Panda Farnana, témoin significatif des années 1920, ce livre volumineux exploite au mieux tout ce que nous savons. Il conte la vie de ce jeune congolais amené en Belgique, où, après avoir été adopté, il fit des études professionnelles jusqu’à l’obtention d’un diplôme d’études supérieures en agronomie (il ne s’agit pas du diplôme universitaire qu’indique le titre de l’ouvrage). Engagé en 1914 dans l’armée belge, il connut aussi la captivité en Allemagne, avant de prendre part, autant qu’il put, à la vie publique, notamment en créant l’Union congolaise. L’auteur est conscient de lacunes de notre documentation, lorsqu’il déplore notamment que, Panda Farnana étant mort dans sa ville d’origine en 1930, en l’absence du Blanc, souligne-t-il (p.331), on ne sache à peu près rien des circonstances de son décès. Il exploite donc au mieux diverses sources publiées dans la presse du temps, et cite longuement, par exemple, telle prise de position de Panda Farnana au Congrès colonial de 1920 ou sa réponse à l’enquête de La renaissance d’Occident sur les arts africains. Reste qu’on aurait aimé en savoir plus, notamment sur ses relations avec des personnalités évoquées au passage comme Rutten, Otlet ou Fontainas. Le lecteur pourrait s’irriter, par ailleurs, des longs détours narratifs de l’auteur, qui ne craint pas de réécrire, entre autres, l’histoire de Belgique depuis la conquête des Gaules. Le livre est aussi déparé par une insuffisante surveillance rédactionnelle.

Mais l’essentiel est ailleurs : Panda Farnana est ici convoqué au titre de modèle, comme on étudiait autrefois la vie des hommes illustres. Un modèle de fierté nationale, mais aussi raciale, ce qui explique le recours convenu aux antiquités égypto-nègres : il s’agit encore une fois de rendre espoir dans un contexte calamiteux. Didier Mumengi a en tout cas le courage de mettre les pieds dans le plat national, en rappelant par exemple les statistiques de développement du Congo colonial et du Congo indépendant : il estime qu’un certain discours unilatéral, accablant le seul colonisateur, a fait son temps.

Dès lors, il s’agit d’élever à Panda Farnana, premier intellectuel congolais avec l’abbé Kaoze, la statue qu’il mérite, en insistant sur les valeurs qu’il incarne : le savoir scolaire et le travail de développement concret, le réalisme, un nationalisme basé sur l’égalité sociale et la dignité, sur la parole vraie et le sens du bien commun, enfin la raison plutôt que le désir (p.329). Mumengi met donc au premier plan la lutte pour un développement qui passe par la scolarisation, la formation des cadres, l’ambition de rejoindre ce que les physiocrates coloniaux du 19ème siècle appelaient le concert des nations. Cela peut sembler des lieux communs, mais ce n’en est pas : un Mudimbe, voyant dans l’absence d’imprégnation par le droit romain une des carences de l’Afrique ou un Tshibanda prônant la nécessité de l’adaptation réaliste, n’ont pas fait l’unanimité. Le nationalisme, dans cet essai qui fait une grande place au panafricanisme, n’empêche pas le discours iconographique d’accorder une large place aux missionnaires, mais aucune à Lumumba ni, bien sûr, à Mobutu. Ainsi, se réorganise une mémoire.

La couverture du livre est un montage qui reprend un portrait de Panda Farnana en col et cravate de l’époque, à l’age où il devrait etre étudiant : il sourit, confiant. A l’arrière-plan se trouvent une obélisque et une pyramide égyptiennes, et le motif du soleil illuminant. On peut ne pas approuver le procédé du montage, on peut aussi estimer que le Congo n’a nul besoin de l’Egypte pour affirmer sa dignité. Mais on comprend le message : entre le simplisme anti-impérialiste et le populisme anti-colonial, Panda avait très courageusement choisi le registre de la décolonisation des esprits congolais, appréhendée comme un sursaut régénérateur d’un peuple qui se réconcilie avec la civilisation du savoir et renouvelle son adhésion aux exigences de la science et du progrès (…) Panda Farnana aura été le premier éclat de la sagesse politique en Rd-Congo, le véritable homme d’Etat que le Congo n’a presque pas encore connu » (p.330-331).

PROFESSEUR ALPHONSE MBUYAMBA KANKOLONGO Université de Kinshasa

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